J'avais promis d'y revenir... C'est fait. Le texte est un peu long... à la hauteur de l'importance des enjeux pour les cheminots de la SNCF. Pour les autres personnels du ferroviaire, je reprendrai à mon compte la remarque que m'avait fait un de leurs représentants du personnel il y a quelques années : "si notre Direction se contentait déjà d'appliquer les mesures que nous avons négociées et validées, nous serions les plus heureux des salariés"... Alors, pour ces salariés, le socle social commun, la convention collective, c'est si loin...
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1) Une convention collective, c’est quoi ?
Rappelons tout d’abord que les cheminots du « cadre permanent » disposent d’un certains nombre d’acquis spécifiques, issus de l’histoire : régime spécial de retraite, caisse de maladie spécifique, règlementation du travail,… ce qui est communément appelé « Statut des cheminots ». A ne pas confondre avec le RH 0001 « Statut des relations collectives avec la SNCF et son personnel » qui ne traite qu’une partie de ces acquis.
Lors des débats sur la réforme du système ferroviaire, Gouvernement, Direction et certains syndicats ont joué sur cette ambigüité pour entretenir une confusion dans les esprits. Il faut être conscient que les « engagements » de maintien ne portent pas sur le Statut des cheminots mais bien sur le seul RH 0001.
A la SNCF, un grand nombre d’avancées sociales trouve sa source dans les négociations. D’autres sont apparues à l’issue d’un conflit. Celles-ci ne sont pas été validées au sein d’une convention collective, mais par des accords et des décrets. Ainsi, la réglementation du travail (RH 0077) fait l’objet du décret du 29 décembre 1999 tandis que le RH 0001 (droit syndical, rémunération, représentation du personnel, admission au cadre permanent, déroulement de carrière, cessation de fonction, changements de résidence, sanctions, congés, régime spécial maladie) est issu du décret 50-635 du 1er juin 1950 portant application de la loi du 11 février 1950.
Ces décrets sont complétés par des accords d’entreprise : formation, handicapés, égalité homme-femme…
C’est sur cet ensemble de dispositifs divers que reposent les droits spécifiques des cheminots du « Cadre Permanent ». Certains d’entre eux s’adressent également aux cheminots contractuels.
Une convention collective est un texte négocié (en l’occurrence au niveau national) entre le patronat et les organisations syndicales« représentatives » présentes dans le champ d’application.
Définition: « la convention collective est un acte écrit conclu entre un ou plusieurs employeurs ou organisations professionnelles patronales et un ou plusieurs syndicats de salariés. Elle a vocation à traiter des conditions d'emploi, de travail, et des garanties sociales des salariés ».
Son contenu est fixé librement hormis les points obligatoires : champ d’application territorial et professionnel, conditions de renouvellement et de révision, durée si elle est à durée déterminée (sinon, indéterminée). Il n’y a pas obligation à faire entrer d’autres thèmes (cités dans la définition) dans le champ des négociations.
Professions pouvant être concernées par une convention collective : celles relevant du droit privé et des EPIC.
La convention collective s’applique à tous les salariés de son champ.
La convention peut être dénoncée par tout ou partie des signataires. Dans ce dernier cas, elle ne lie plus que les structures dont la signature subsiste.
La négociation ne se situe pas au niveau de la SNCF, mais au niveau de la branche ferroviaire, dans la mesure où tous les cheminots, du public comme du privé, relèveront du nouveau dispositif.
Ainsi, le patronat est représenté par l’UTP (Union des Transports Publics et Ferroviaires). Parmi les entreprises adhérentes à l’UTP : ECR, Veolia, RATP, Thello, VFLI, Eurostar, VFLI, SNCF…
Les syndicats sont représentés par les fédérations des transports, et non pas par leurs fédération de cheminots (du moins officiellement).
La première réunion des partenaires a eu lieu en février 2014. Elle constitua une première étape. Au programme de cette rencontre, la définition d’un accord de méthodologie. Celui-ci a été validé sans problème le 23 avril 2014.
Depuis, les négociations se poursuivent sur un sujet plus complexe et moins unanime : le champ d’application de la future convention.
Le bouclage de la convention a été annoncé pour au plus tôt 2016, une échéance est très optimiste face à la complexité du sujet et surtout au regard des enjeux.
2) Réforme SNCF, convention collective, avenir des acquis sociaux
L’article 33 de la loi sur la réforme du service ferroviaire abroge la loi de 1940. Du coup, le décret dont est issu le RH 0077 tombe. La réglementation du travail SNCF n’est maintenue qu’à titre transitoire, le temps que soit négociée la partie « temps de travail » de la convention collective et un accord spécifique SNCF. Le reste de la règlementation du personnel ne devrait pas, en principe, être directement touché par la réforme. En revanche, ces textes évoluent au fil du temps et du contexte, et pas dans le bon sens.
Précisions :
Avant la réforme : législations européennes et nationales (code du travail), décrets (RH 0001, RH 0077), accords d’entreprise.
Après la réforme : législations européennes et nationales (code du travail), décret socle (commun à l’ensemble des salariés des transports ferroviaires), convention collective (idem), éventuellement accords d’entreprise.
Le RH 0001 (Statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel) n’est pas abrogé, mais à voir comment il pourra se conjuguer avec ce nouveau contexte législatif… Certains « aménagements » risqueraient de s’imposer de fait.
Concrètement, rien ne permet d’affirmer que les acquis sociaux des cheminots seront maintenus, bien au contraire. Le volet « temps de travail » de la convention collective, même s’il devait être de haut niveau, ne pourra en aucun cas être la copie du RH 0077, sous peine de se voir retoqué par les entreprises privées, voire par la SNCF elle-même.
Et si des accords d’entreprise peuvent compléter le nouvel arsenal législatif, aucune contrainte ne pèse sur les entreprises quant à leurs contenus, voire même quand à leur mise en œuvre.
La SNCF affirme que les champs couverts par le RH 0001 et les accords en vigueur ne feront pas l’objet de négociations dans le cadre de la CC et seront donc maintenus en l’état. A vérifier dans les faits. Fin 2014, la direction avait réfléchi à une réforme du volet déroulement de carrière du RH 0001 avant de se raviser.
3) Il était une fois, une convention collective pour le fret ferroviaire
La convention collective constitue une réelle nouveauté pour les cheminots de la SNCF. Mais ce dispositif était déjà présent dans le domaine ferroviaire…
Il existe depuis 1974, à l’attention des personnels des entreprises ferroviaire locales, une convention collective dénommée « VFIL » (cliquez ici).
Suite à l’arrivée de nouveaux opérateurs fret sur le réseau national (le premier en 2005), des négociations avaient été engagées pour pallier le vide réglementaire auquel étaient exposés leurs salariés, les seules normes en vigueur étant celles du Code du Travail. Un protocole d’accord avait été signé le 6 juin 2007. La signature (ou pas) de cette convention avait été programmée en juin 2012, soit après 5 ans de négociations.
Le 1er juin 2012, Guillaume Pepy adressa un courrier au Premier ministre, réclamant l’abrogation du « décret du 27 avril 2010 instituant un double cadre social dans le secteur ferroviaire ». Pour le Président de la SNCF, la nouvelle convention collective « entérinerait des écarts considérables de situation de et conditions d’emplois entre salariés d’un même secteur » public ou privé. A cette époque, Guillaume Pepy se plaçait déjà dans la trajectoire d’une cadre social harmonisé destiné à l’ensemble du secteur ferroviaire.
Conséquences :un gros embarras au niveau du Gouvernement… et de l’UTP chez qui cette missive fit l’effet d’une bombe.
Au point que cette convention, pourtant bouclée, ne fut jamais signée. Ne subsistent de ces négociations, qu’un accord sur l’organisation et l’aménagement du temps de travail (14/10/2008), un accord sur le contrat de travail et les classifications (8/09/2010) et un accord relatif à la formation professionnelle (13/09/2011). La suite, on la connait avec la consécration du cadre social commun dans le cadre de la réforme d’août 2014.
4) Enjeux et risques d’une négociation de la Convention Collective
Qu’elles aient été favorables ou non à la réforme ferroviaire, les organisations syndicales présentes à la table des négociations porteront la lourde responsabilité de négocier la future réglementation du travail et les autres thèmes qui auront été arrêtés.
Nul n’ignore que le résultat de ces négociations ne pourra en aucun cas atteindre le niveau social qui était celui des cheminots de la SNCF et ce pour deux raisons.
La première, c’est que les entreprises privées ne signeront en aucun cas un texte trop contraignant pour elles, la seconde, c’est qu’une partie de ajustement devant se faire aux niveau des accords d’entreprise, la convention ne peut être exhaustive.
Le but est donc aujourd’hui de négocier pour offrir à tous les salariés répertoriés dans le champ d’application un socle social commun d’un niveau le plus élevé possible…
Niveau qui ne pourra atteindre, faut-il le répéter, celui de la réglementation du travail SNCF. Il est indispensable d’en être conscient dès le départ.
5) Texte et contexte
Obtenir une convention de haut niveau est sans doute le but commun à tous les syndicats, même si par la suite le niveau d’exigence peut diverger. Chaque organisation défendra ses attentes. L’espoir réside dans le fait de trouver le point d’équilibre.
Mais que cet objectif soit atteint ou non, le contexte pèsera sans doute autant que le texte dans la perspective d’une signature.
Premier enjeu pour les syndicats : les élections professionnelles. Elles devraient se dérouler, en principe, en novembre 2015. La réforme et ses conséquences ne manqueront pas de s’inviter dans les débats. Même si l’actualité ne joue jamais de manière significative dans le résultat des élections, les impacts sont parfois lourds de conséquences.
Rappelons jusqu’à présent, les syndicats révolutionnaires (CGT et SUD rail) subissent une érosion continuelle. Le premier d’entre eux vient d’ailleurs de subir de grosses déconvenues dans certains secteurs d’activités, et est confronté à d’importantes secousses internes. Deux syndicats d’accompagnement, UNSA et CFDT, avaient jusqu’à présent le vent en poupe. Depuis les dernières élections professionnelles, leur allégeance à la réforme a fait grincer beaucoup de dents.
D’autres, comme FO, FiRST et la CFE CGC, réunis jusqu’à présent dans le cadre d’un partenariat électoral, avaient frôlé la représentativité lors des élections précédentes. Ils espèrent désormais capitaliser leurs objections formulées contre la réforme et être éintégrés parmi les syndicats « représentatifs ». Pas sûr que l’Entreprise apprécie particulièrement l’arrivée de ces nouveaux acteurs, qu’elle se gardera bien d’encourager.
Ce que souhaite la SNCF est sans doute de préserver l’audience des syndicats d’accompagnement, et notamment les 30 % indispensables à la signature des accords. Et sans doute rêve-t-elle secrètement à ce que l’érosion des « révolutionnaires » les fasse plonger en dessous des 50 %, seuil en dessous duquel il n’est plus possible d’invalider des accords.
Les positions des uns et des autres se répercuteront donc dans les urnes, d’où l’importance des décisions prises jusqu’aux élections.
Toutes ces questions de stratégies électorales ne devraient pour autant pas conduire les syndicats responsables, quel que soit leur positionnement sur la réforme, à prendre des risques inconsidérés quant à leur principe mission : la préservation des acquis du personnel…
Il serait bon de s’interroger sur l’avenir de ces acquis, et notamment la réglementation du travail SNCF, en cas d’achoppement de la convention collective. La tout dans un contexte peu favorable aux cheminots.
Enfin, il est important aussi que les cheminots prennent conscience de l’importance des conséquences de leurs votes, notamment du fait qu’entre accompagnement béat et contestation pure et dure, il existe d’autres voies !
Tout cela pour conclure que la signature ou non de la future convention collective ne reposera pas que sur son contenu, loin s’en faut ! Entretemps, le grand mercato est ouvert. Ni la tutelle, ni la Direction de l’Entreprise ne devrait déserter les couloirs…
6) Négociation ou soumission ?
On a beau être fervent adeptes de la négociation, du moins pour ceux qui le sont, il est bon de se poser les bonnes questions. Parmi elles, celle de l’impact de l’équilibre des forces entre partenaires. Un équilibre indispensable pour aboutir à des accords gagnants-gagnants. Un équilibre sans lequel, sauf ce que les partenaires soient empreints de vertu depuis longtemps disparue, le fort imposera ses règles aux faibles.
Les rapports sociaux, en Allemagne, sont souvent cités en exemple : peu de grève, dialogue social constructif et productif. Tout cela à mettre au bénéfice d’un état d’esprit différent, de part et d’autre de la table des négociations, mais aussi et surtout d’un fort taux de syndicalisation. Outre-Rhin, la puissance des syndicats est au climat social ce qu’est la dissuasion nucléaire à la paix dans le monde. Bien sûr, les conflits ne sont pas évités, mais la crainte d’un blocage total fait vite réfléchir.
Les négociations de la CCN, pour ce qui les concernent, ne se déroulent pas dans le même contexte, bien au contraire. Le front syndical et fissuré, en partie de par la volonté même de puissants syndicats (loi sur la représentativité syndicale de 2009). Les derniers gros conflits, parfois délibérément mal gérés (comme les grèves de 2010 sur les régimes de retraite), ont laissé dans les mémoires plus d’interrogation de convictions. De même que ces actions totalement isolées, et suicidaires, comme cette récente grève "carrée", qui ne renforcent que les patrons…
Prétendre que, dans ce contexte qui perdure déjà depuis plusieurs années, la « négociation rapporte plus que l’action » est un leurre. Car ni l’une ni l’autre ne rapporteront plus grand-chose, tant que l’équilibre des forces de sera pas rétabli. Le développement du syndicalisme d’accompagnement ne va pas en ce sens.
7) Pour conclure…
La situation dans laquelle les cheminots sont placés interdit toute orientation à l’emporte-pièce. Il s’agit avant tout de préserver les intérêts des salariés. Le champ d’application de la convention collective fait actuellement l’objet de débats. Quels personnels seront concernés ? Les cheminots ? De quelles entreprises au final ? Les salariés qui, comme ceux de la restauration à bord ou du nettoyage, concourent directement au service client ? Les pères du "socle social commun" ont ouvert, volontairement ou non, une boite de Pandore qu'ils souhaiteraient aujourd’hui refermer.
Il va de soi qu’avant de définir des règles sociales, il est indispensable, tant pour les représentants du personnel que pour les employeurs, d’en identifier précisément les bénéficiaires. Cette première épreuve sera-t-elle surmontée avec succès ? La validation de la convention collective se fera-t-elle étape par étape, au risque de proposer des chapitres à la signature en plein contexte d’élections professionnelle ? Où alors fera-t-elle l’objet d’un examen global à l’issue des négociations ?
Et si, au final, les négociations finissaient par capoter ? Un décret pas forcément favorable aux salariés ? Pas de décret du tout et pour seule référence, le Code du Travail ? La route est encore longue. Les négociations n'en sont qu'à leur début.
Funambulimse de rigueur !