Le souvenir des victimes de l’accident ferroviaire de Brétigny s'efface. Arrive le temps de la polémique… Quels sont les responsables, quels sont les coupables ? Le Président de la SNCF avait engagé son entreprise sur la voie de la transparence au lendemain de la catastrophe… Mais c’est finalement la presse qui révéla les causes probables de l’accident. Elle diffusa récemment un rapport remis aux dirigeants de l’entreprise publique quelques jours seulement après la catastrophe (cliquez ici). Eprise d'une fuite en avant assez déroutante, la SNCF avait dans la foulée mis en ligne le texte sur son site.
Nouvelles révélations aujourd’hui… Le Figaro divulgue le contenu des comptes-rendus d’inspection des voies réalisés entre février et juillet 2013. Le journal souligne que la fissure du rail où se trouvait l’éclisse à l’origine de l’accident avait été signalée dans un rapport du 4 avril, que la traverse jonction double serait cassée à cœur, une anomalie à redresser dans les trois mois, et revient sur l’absence de boulon constatée sur une éclisse à proximité immédiate de celle qui s’est détachée. Le quotidien s’interroge ensuite sur les conditions dans lesquelles s'effectuent les opérations de contrôle. Le dernier en date a été effectué seul, par un jeune cheminot devenu dirigeant de proximité voies à la SNCF, après des études d’ingénieur. Enfin, le Figaro révèle qu’une entretoise de la même aiguille avait perdu « un boulon ».
Très peu de temps après la parution de l’article, la SNCF publiait à son tour un communiqué de presse (cliquez-ici) assorti de précautions d'usage « SNCF et RFF n’ont pas accès à ce dossier d’instruction. Ils s’interdisent de commenter l’instruction judicaire en cours, qui est seule de nature à déterminer les causes de l’accident ». Selon l’Entreprise, la "rupture de la jonction double"évoquée par le journal ne concerne pas le cœur de l’aiguille, mais un simple câble de retour traction. Des câbles qui relient électriquement les rails et les appareils de voie entre eux, pour permettre l’alimentation en courant des locomotives. Effectivement, la rupture d’un de ces câbles ne peut en aucun cas être à l’origine d’un accident, tout au plus d’un dérangement qui conduirait à l’arrêt des trains en toute sécurité… La SNCF précise aussi qu’un autre défaut relaté par Le Figaro concernait une entretoise (pièce métallique maintenant l’écartement entre les rails) et non une éclisse comme celle à l’origine de l’accident. Anomalie qui aurait été corrigée au mois de mars. Le communiqué de donne pas de précision sur les autres points évoqués dans l’article…
Les mots ont sans doute leur importance, mais toutes ces précisions techniques échappent aux profanes, et parfois même aux cheminots qui ne sont pas tous spécialistes des voies ferrées… Toujours est-il que l’appareil de voie incriminé présentait bien de nombreux défauts liés à une maintenance insuffisante… Seul ce point n’est pas contestable… Reste désormais à établir les responsabilités… Le vieillissement des infrastructures n’est pas un problème en soi. Pour peu que les normes édictées soient respectées. Pour chaque anomalie constatée, et vu les répercussions qu’elle peut avoir, des textes définissent les mesures à prendre et les délais à respecter. Le cas échéant, des restrictions de circulations sont mises en œuvre, qui peuvent aller jusqu’à l’interdiction totale d’emprunter les voies en cause jusqu’à réparation de l’anomalie. D’autres défauts mineurs peuvent être corrigés dans une moindre urgence, sous réserve toujours que la sécurités des circulations ne soit jamais remise en cause…
Au-delà des simples constats techniques, il appartient à la Justice de déterminer les responsabilités, toutes les responsabilités… L’article du Figaro souligne que le dernier agent ayant effectué les vérifications sur l’aiguille en cause était un jeune cheminot, dirigeant de proximité, issu d’une école d’ingénieur… Ni la jeunesse, ni le cursus suivi ne peuvent constituer à eux-seuls des griefs à l’encontre de cet agent. A la justice d’établir :
- Si la formation dispensée à l’agent lui a permis de réaliser correctement ses missions.
- Si le cursus interne lui a permis d'acquérir l'expérience nécessaire.
- S'il bénéficiait-il du temps indispensable pour exercer sa mission de manière complète et optimale
- Si les signalements effectués par l’agent étaient complets.
- Si ceux-ci ont été suivis d’effets. Lesquels ? Dans quels délais ? Si non pourquoi ?
- Si l’Etablissement Voie disposait ou non des moyens matériels et humains à hauteur des tâches à accomplir...
- En cas de difficultés rencontrées dans l’exercice de leurs missions, les différents échelons ont-ils fait état de cette situation au niveau supérieur. Si non, pourquoi ?
- Quelles raisons ont conduit aux multiples défauts de maintenance constatés sur l’appareil de voie incriminé ?
- Si les conditions qui ont mené au drame sont exceptionnelles où si elles risquent d'être réunies ailleurs sur le réseau français.
- Si, à la SNCF en général et à l'Infra en particulier, la rigueur est restée la règle dans l’application des procédures ou si elle a cédé la place à la notion d’ « efficience », très en vogue dans les entreprises, et totalement incompatible avec la sécurité des circulations. En l’occurrence, les normes, pas de visite, calendriers ont-ils été allégés récemment ?
- Si les investissements effectués dans la maintenance et la remise à niveau du réseau permettent de garantir en tous points la sécurité des circulations.
En ce qui concerne la tournée, effectuée par un seul agent, il est également nécessaire de rappeler que la présence d’un second agent n’impacte pas, en principe, la qualité des contrôles. Celui-ci ayant pour but d’assurer la sécurité de son collègue vis-à-vis des circulations lors des opérations dans les voies. A défaut d’un second agent, la circulation des trains est interdite sur la voie concernée.
Pour résumer, la guerre des articles et communiqués est désormais déclenchées… Mais au-delà de tous ces effets de scène, l’important reste qu’une telle catastrophe ne puisse plus jamais se reproduire. Ce pourquoi la Justice devra aller au fond des choses…
A voir, ce soir sur France 2, dans "envoyé spécial", le reportage "SNCF, voies à bout de souffle". Une émission qui, de sources internes, inquièterait au plus haut point la Direction. Pour réaliser les tournages, les journalistes auraient contourné les règles habituelles...