Ils sont politiques, dirigeants d’entreprise, autorités diverses, magistrats, syndicalistes, experts… Leur point commun : tous prétendent avoir raison, tous s’arc-boutent sur leurs certitudes et bombent le torse sous l'effet de leurs égos respectifs. La situation actuelle leur démontre cruellement à quel point ils ont tort !
Trois semaines après une collision ferroviaire ayant fait un mort à Dudelange (Luxembourg), le trafic TER entre la France et le Luxembourg se limite toujours à quelques correspondances en gare de Thionville avec des trains luxembourgeois ou des cars… En cause, des interrogations légitimes sur le niveau de sécurité des circulations sur le tronçon concerné, voire ailleurs.
Sauf que depuis un vingtaine de jours, trouver des solutions provisoires, mettre en place des mesures temporaires, fussent-elles restrictives, ne constituait pas un exercice hors de portée. Ainsi, la circulation aurait pu reprendre, même quelque peu allégée, le temps de connaître les premières conclusions des experts et de mettre en œuvre les préconisations des enquêteurs.
Depuis l'accident, Direction SNCF et certains syndicats se sont enferrés dans un rapport de force, dont l’usure a failli venir à bout la semaine dernière. La circulation reprenait progressivement, le 1er mars. C'est à ce moment que tomba, sans la moindre explication, une information en pleine réunion CHSCT. La voie 2, celle où se produisit l’accident, aurait été fermée depuis la veille suite décision de justice luxembourgeoise. Surprise générale !
Il n’en fallu pas plus pour engendrer de nouvelles suspicions auprès du personnel de la SNCF : cette fermeture brutale faisait-elle suite à la révélation d’un défaut quelconque ? En l'absence d’informations précises, des questionnements se firent jour, de folles rumeurs apparurent sur la présence d’un dernier corps oublié dans la rame disloquée… Sans évoquer le retour de l’hypothèse du « Germanwings ferroviaire » qui tint quelques jours les journalistes en haleine.
Bilan : un droit de retrait reparti reconduit dans la foulée, suivi du déclenchement de la procédure de Danger Grave et Imminent… La SNCF qui, prise au dépourvu en séance, se sentit obligée de capituler et d’entériner une nouvelle suspension des circulations TER au-delà de la frontière. On en est là.. Et pour combien de temps ? Le temps qu’une nouvelle politique d’usure fasse son effet ? Jusqu’à une prochaine révélation partielle ou la révélation d'une autre rumeur scabreuse ?
Pour sa part, le parquet de Luxembourg a rapidement démenti une partie du contenu d’un communiqué syndical français affirmant que la fermeture de voie faisait suite à « une décision de la justice luxembourgeoise sans que le CFL n’en ait informé la SNCF ». Et de préciser qu’un « barrage temporaire d’une voie à proximité du lieu de l’accident avait été décidé dans le contexte de l’accident en cours » et que « ce barrage est sans influence sur les circulations ferroviaires ».
Un « barrage » ? Curieuse expression ! De l’autre côté de la frontière, personne n’aurait jugé utile d'informer la SNCF en amont de cette décision ou sur les motivations qui l’ont guidée. Au prétexte que cette décision était sans conséquence. Sans effet sur la circulation aux abords de Bettembourg, peut-être. Mais pas sans conséquence dans l'esprit des cheminots français, déjà peu enclins à emprunter l'itinéraire en cause. Pourtant, personne n’ignorait l’aspect social ultra-sensible de la question côté français... La suite, on la connait !
De son côté, la justice luxembourgeoise se réfugie dans le secret de l’instruction pour justifier son refus de s'exprimer sur l’accident. Or, il est justement capital et urgent, pour envisager une saine reprise des circulations, de livrer aux cheminots quelques informations essentielles sur les origines de la collision. C’est d’ailleurs ce qu’il est l’usage de faire sur tous les réseaux.
La recherche des responsabilités, c’est une chose, l’analyse technique, c’en est une autre. Il est totalement anormal de ne disposer aujourd'hui d'aucun élément sur les causes de l'accident ! Il est irresponsable, au vu du contexte, de ne pas livrer une première approche technique. Les prétextes évoqués pour garder le silence sont irrecevables !
François Bausch, Ministre luxembourgeois en charge des transports, persiste et signe : « je ne peux malheureusement rien vous apporter sur l’enquête en cours… Je ne m’immisce pas dans le travail de la Justice ». En résumé, circulez, il n’y a rien à voir. Eh bien justement, c’est parce qu'il n'y a rien avoir l’on ne circule pas ! Et le Ministre de poursuivre : « je ne comprends pas le comportement de la SNCF. Après avoir arrêté le trafic depuis la semaine dernière juste parce que les CFL avaient fermé une voie… Ce n’est pas raisonnable… ».
Et de ne pas faire l'effort de passer un petit coup de fil pour informer des partenaires français assis sur un baril de poudre, c’est raisonnable ? Et si le TER, au lieu de circuler presque à vide, avait convoyé 200 voyageurs le jour de l’accident, la reprise des service sans la moindre information sur le drame aurait-elle aussi été "raisonnable" ?
Loin de moi la volonté de jeter l’opprobre sur nos voisins luxembourgeois. Ceux-ci pourraient souvent nous donner, et à juste titre, des leçons de pragmatismes. D’autant que la SNCF, elle, ne brille pas non plus par une volonté de dialogue inconsidérée. L’Entreprise avait, par le passé, pris l’habitude de réunir l’ensemble des organisations syndicales pour délivrer, en temps réel, toute information que légitimaient des situations d'urgence. Ces rencontres permettaient de déminer d’éventuels conflits, de responsabiliser l'ensemble des partenaires, d’entrevoir des solutions partagées. Le "mode" s'est perdue, avec les conséquences que l’on connaît sur les rapports sociaux... et sur la circulation des trains.
Si la traversée de la frontière n'a pu être envisagée aujourd’hui, c’est consécutif aux interrogations persistantes sur le niveau de sécurité. Mais cette situation de blocage relève avant tout du fait des déficits de dialogue en tous genres, à tous les niveaux, et de part et d’autre de la frontière. Alors que les moyens de communication n’ont jamais été aussi efficaces, aussi instantanés, tous les protagonistes semblent vouloir royalement s’ignorer, engoncés dans leurs certitudes et leurs fiertés respectives. Et pendant ce temps, les voyageurs restent à quai. C’est une honte.
Mesdames, messieurs, décideurs et représentant de tous niveaux, vous pour qui « service public » n’est pas une expression vide de sens, osez faire preuve d’humilité et de BON SENS. Que la défiance cède enfin la place à la confiance. Il est temps de siffler la fin de la récré ! Vous êtes adultes, non ?