A quelques jours de la parution d’un rapport de la Cour des Comptes égratignant la « rentabilité » des TGV, une question revient à l’ordre du jour : le train à grande vitesse reste-t-il pertinent lorsqu’il dessert des zones reculées parfois très éloignées des LGV ? Jusqu’à présent, la réponse était plutôt oui du côté des décideurs politiques. Nombre d’entre-eux ont d’ailleurs investi, parfois de manière conséquente, pour s'offrir la présence du fleuron du transport ferroviaire y compris sur lignes classiques. Sans doute pour une raison de prestige, mais avant tout pour une raison pratique. Car pour le client, une rupture de charge est toujours synonyme de contraintes supplémentaires et de perte de temps. Certains usagers, non-directement desservis par le TGV, ont d’ailleurs fait les frais d’un allongement de temps de parcours suite à une refonte des horaires consécutive à l’apparition de la grande vitesse sur leur territoire, le temps de parcours gagné par le TGV étant par la suite perdu dans des correspondances plus longues ou rompues et des acheminements inadaptés.
Raison de plus pour que le TGV ne limite pas sa course aux métropoles. Cette particularité française, qui s’impose plus ou moins à l’entreprise publique, est diversement appréciée. Le pouvoir politique exige de la SNCF un maximum de performance économique. Tandis que les décideurs locaux souhaitent le maintien de tronçons de lignes – ou la construction de nouvelles LGV – insuffisamment rentables ou carrément déficitaires. Un paradoxe que les dirigeants de la SNCF, nommés par l’Etat, doivent gérer avec habilité. Louis Gallois, puis Guillaume Pepy s’étaient cassé les dents chaque fois qu’ils ont brandi le spectre de la suppression des relations déficitaires (cliquez-ici). Car les mêmes qui réclament à la SNCF un service maximum sont ceux qui privent l’entreprise des ressources indispensables à un fonctionnement efficace. La Cour des Comptes ne s’étend pas, d’ailleurs, sur cette véritable origine du mal.
Lorsque les « péages » des TGV, qui devaient rester marginaux, atteignent 40 % des coûts, après avoir augmenté en moyenne de 8 % pendant plusieurs années consécutives, cela ne choque pas les « sages ». Ils se gardent bien de réclamer à l’Etat de payer sa dette, c'est-à-dire les 34 milliards d’euros relatifs à un réseau ferré dont l’accès est ouvert à la concurrence, mais dont la facture s'adresse toujours indirectement à la SNCF. Car c’est bien là où le bât blesse. Et si pour l’instant la SNCF s’est interdit de répercuter proportionnellement aux clients les hausses de charges qui lui sont imposées, c’est au détriment de ses bénéfices. Elle se trouve pourtant dans le collimateur.
En fait, le rapport de la Cour des Comptes, s’il se contente d’enfoncer des portes ouvertes ou élude les véritables responsabilités, pourrait se révéler d’une redoutable efficacité. Le texte a le mérite – ou a le tort – de légitimer l’analyse de la SNCF sur la rentabilité des certaines lignes à grande vitesse. Et à défaut d’exiger de l’Etat qu’il remplisse son rôle, la Cour des Compte légitime implicitement toute mesure visant à améliorer la rentabilité des TGV. La SNCF peut ainsi justifier tout aménagement de tarif, voire évoquer la remise en question des tronçons les moins rentables. La Directrice Générale Voyageurs de la SNCF a expliqué (une nouvelle fois) que certains TGV ne pouvaient plus desservir toutes les gares et qu'il fallait mieux se coordonner avec les TER. Barbara Dalibard a-t-elle conscience de la portée de cette déclaration ? Ou considère-t-elle le rapport de la Cour des Comptes comme la justification tant attendue pour réduire enfin le périmètre de desserte des TGV ? La Directrice a-t-elle pris conscience des dégâts collatéraux de ce type d’initiative ? Car transférer une partie d’une desserte TGV au réseau TER revient aussi à offrir à terme à la concurrence, appelée de ses vœux par la quasi-totalité des régions, des liaisons effectuées aujourd’hui de bout-en bout par la SNCF. Une porte d’entrée qui ne devrait pas déplaire aux opérateurs privés. Des prestataires qui, le moment venu, pourraient offrir ce que la SNCF a abandonné.
Jusqu’à présent, toute tentative de réduction des dessertes TGV est demeurée vaine. La levée de boucliers des élus locaux, en particulier ceux qui ont mis la main à la poche de leurs contribuables pour leur offrir le TGV, a toujours eu raison des velléités de replis. Cette fois, la SNCF dispose d’un argument de poids qui donne du sérieux à la menace. Mais face à elle, la fronde des élus risque de l’emporter une nouvelle fois. Le plan B est tout trouvé, et tout autant légitimé : l’augmentation des tarifs. Durcissement des conditions de remboursement, suppression de la voiture bar, augmentation des prix en première classe… Autant de pistes surgies opportunément au lendemain de la parution du rapport. Un hasard qui fait décidément bien les choses… Tout « bénef » pour la SNCF, pour l’Etat, mais pas pour l’usager.