Le 9 octobre, Ségolène Royale, Ministre de l’Environnement, « suspend sine die » la mise en œuvre de la taxe poids lourds… ce qui signifie ni plus ni moins que la mise à mort du dispositif. Voici donc l’épilogue de ce véritable serpent de mer, dont la mise en œuvre avant pourtant été souhaitée par une majorité de la classe politique, tous partis confondus. Manuel Valls a pour sa part qualifié ce dispositif d’ « incompréhensible ». Un qualificatif tristement célèbre dans la bouche du Premier ministre, pour l’avoir utilisé lors de la grève des cheminots contre la réforme du ferroviaire.
La comparaison s’arrête là. Car la fermeté du Gouvernement face aux cheminots n’a d’égale que sa lâcheté face aux hypothétiques blocages des routes évoqués par quelques transporteurs. De quoi écœurer un peu plus des cheminots SNCF confrontés au désintérêt manifeste des décideurs politiques pour les modes de transport non-polluants.
L’ « Ecotaxe », c’est quoi ?
Improprement appelée « écotaxe », la taxe poids lourds avait pour objectif de diminuer les transports par routes, jugés polluants et énergivores, afin de financer notamment des modes de transport alternatifs, fluviaux ou ferroviaires. Elle visait à faire payer l’usage des routes, actuellement supporté par la collectivité à travers l’impôt, par leurs utilisateurs.
Ainsi, les camions de plus de 3,5 tonnes auraient dû être assujettis à des redevances s’échelonnant entre 8,8 et 15,4 cents du kilomètre (en fonction de la taille, du poids et du degré de pollution). Contrairement à la « taxe à l’essieu », l’écotaxe touchait également les camions étrangers empruntant le réseau routier français.
Elle devait rapporter 1,15 milliards d’euros par an.
Calendrier
1994 : la Commission Européenne présente une stratégie fondée sur le principe de pollueur-payeur dont s’inspirera en partie la taxe poids lourds française.
1997 (11 décembre) : signature du « protocole de Kyoto » par de nombreux pays. Le texte vise à réduire les émissions des gaz à effet de serre. Il est, à ce jour, ratifié par 184 Etats. A noter l’absence d’un des plus gros pollueurs mondiaux : les Etats Unis (la Russie a ratifié le protocole en 2004).
2007 : élaboration de la taxe poids lourds dans le cadre du « Grenelle de l’Environnement ».
2009 : vote de la loi Grenelle 1 par la Majorité (de Droite à l’époque) et une large partie de l’Opposition. Entrée en vigueur prévue en 2011, mais reportée sous prétexte de difficultés techniques.
2013 : le Gouvernement socialiste vote en avril l’entrée en vigueur de la taxe au 20 juillet. Date reportée une première fois au 1er octobre, puis au 1er janvier 2014. Une nouvelle fois, le Gouvernement prétexte des « difficultés techniques ». Mais en réalité, il s’agirait plutôt d’une reculade face à la grogne initiée en Bretagne durant octobre par les « Bonnets Rouges ». Un mouvement de protestation contre certains aspects pervers de la taxe sur les agriculteurs, qui s’est traduit par la destruction du plusieurs portiques.
2014 : une nouvelle fois reportée en 2015, la taxe est finalement « suspendue » par le Ministre de l’Environnement, Ségolène Royale, le 9 octobre.
Des chiffres
Ce qu’aurait dû rapporter la taxe poids lourds
1, 15 milliards par an
- 760 millions devaient être investis dans les « transports durables »
- 160 millions devaient être restitués aux collectivités pour l’entretien des routes concernées
- 230 millions devaient être consacrés à la gestion du dispositif (soit presque un quart des sommes collectées !)
Coût de la taxe poids lourds (de la mise en œuvre à l’abandon) à ce jour
- Mise en place de 171 portiques à 700 000 € pièce en moyenne : 1, 2 G€
- 800 millions d’euros suite rupture contrat avec la société Ecomouv
- Frais liés aux 44 radars vandalisés ou détruits lors des manifestations contre l’ « Ecotaxe » en Bretagne : 70 000 €
- Frais de démontage des portiques devenus inutiles : 130 000 par portique. 171 portiques en France, moins 19 portiques détruits lors des manifestations, soit 152 X 130 000 = 19 760 000 €
- Aides consenties à la Bretagne à la suite des manifestations contre la taxe : 450 millions (Banque Publique) + 555 millions (crédit d’Etat)
- Coût pour le contribuable : environ 1,4 G€
A ajouter les manques à gagner qui feront l’objet d’un recours à d’autres taxes ou à l’impôt
- Manque à gagner (sur un an) lié à la suppression de la taxe : 1,15 G€
- Ajournement de la taxe en 2013 et 2014, destruction de portiques : 250 000 000 euros
Soit : 1,4 €
Total : un peu moins de 3 milliards d’euros en pertes (sans profit !) et en manque à gagner.
Les dégâts collatéraux
- 200 emplois supprimés chez la société Ecoumouv à Metz
- 130 douaniers mutés à Metz pour gérer le dispositif désormais privés de mission
- 122 projets compromis (voir la carte des projets compromis : ici)
- 4000 emplois qu’auraient dû générer ces 122 projets remis en question
- Pour le particulier, hausse de 2 cents du prix du gazole. En attendant d’autres perceptions !
- Plus de solutions pour certaines zones frontalières, envahies par les camions étrangers qui échappent ainsi au paiement des taxes dans leur pays.
25 % des camions circulant en France sont immatriculés à l’étranger, et donc ne contribuent pas au financement des infrastructures qu’ils utilisent !
Révolte chez les employés d’Ecomouv
Salariés « abasourdis », « dégoutés »… L’annonce de la suppression de la taxe a créé une vive émotion chez les premiers concernés, les salariés d’Ecomouv. « C'est une honte au regard des engagements du gouvernement», a réagi un représentant syndical qui poursuit : « c'est la stupéfaction pour l'ensemble des salariés. Il y a à peine quelques jours la mise en place de l'écotaxe n'était même pas remise en cause».
Stupéfaction en Lorraine aussi, car l’implantation d’Ecomouv sur l’ancienne base militaire aérienne de Metz-Frescaty fermée en 2011 résultait d’un engagement de l’Etat, en compensation des emplois perdus. Quant aux douaniers mutés à Metz, s’ils ne craignent pas pour leurs emplois, ils s’interrogent sur leur avenir professionnel. D’autant que de nombreux conjoints ont dû suivre le mouvement, perdant parfois au passage leur emploi.
Les aberrations du dispositif
Ils n’avaient pas tout à fait tort, les bretons. Car dans certains cas, la mise en œuvre de la taxe poids lourds revenait, notamment pour l’agriculture, à se tirer une balle dans le pied. Exemple, le poulet français. Taxé une première fois lors du transport du poussin jusqu’à l’élevage, puis de l’élevage jusqu’à l’abattoir, puis de l’abattoir aux centres logistiques, puis enfin jusqu’au magasin. De quoi avantager le volatile d’importation.
D’autres exemples démontraient que la taxe devaient effectivement faire l’objet d’un certain nombre d’ajustements… Mais de là à jeter le bébé avec l’eau du bain !
Les véritables origines du mal
A l’origine de la taxe poids lourds, faut-il encore le rappeler, figure la volonté de mettre en œuvre le principe de pollueur-payeur et de faire financer par les professionnels des infrastructures qu'ils utilisent et dont ils tirent bénéfice. Quoi de plus normal ?
Le problème, c’est que nos entreprises croulent déjà sous les charges, et font l’objet de dumpings économiques et sociaux. Le tout sous l’effet de l’ouverture des frontières à la concurrence, en dehors de toute harmonisation préalable. La question de l’ « écotaxe » ne constitue que la partie émergée de l’iceberg du libéralisme. Il appartiendrait à l’Europe de prendre à son niveau les mesures utiles. L’expérience démontre que ce n’est pas sa volonté.
Deux poids, deux mesures
«Entre le manque à gagner d'un contrat que de toute façon on va remettre a plat (…) et le coût financier, économique, social, d'une grève ou d'un blocage d'infrastructures importantes pour le pays, le choix est vite fait». «La priorité aujourd'hui, c'est l'emploi. Si l'expérimentation du système écotaxe doit poser des problèmes économiques supplémentaires aux entreprises et menacer l'emploi, les décisions de bon sens doivent être prises», avait déclaré Royal pour légitiment sa décision.
Des décisions « de bon sens » qui n’ont pas été retenues pour une autre entreprise, la SNCF. 6000 emplois y ont été supprimés depuis 2009 (essentiellement dans le transport de fret) dans la plus grande indifférence, quelle que soit la Majorité au pouvoir. Idem concernant la fermeté à géométrie variable de ce Gouvernement.
Le réchauffement climatique a de bons jours devant lui !