Annoncé par le Canard Enchaîné en mai 2014, le « scoop » sur l’affaire des quais trop étroits date en fait de 2009, comme le confirme le rapport commandé par le Secrétaire des Transports aux Présidents de la SNCF et de RFF (ici). Si, dans un premier temps, Frédéric Cuvillier et beaucoup d’autres s’étaient amusés à souffler sur les braises, voire à user de cette affaire comme d'un tremplin médiatique, le temps semble désormais à l’accalmie. Et pour cause. En interne, le sujet était connu de longue date. Dans le cadre des travaux préparatoires à la mise en œuvre du Transilien, SNCF Infra se rendit compte « du caractère hétérogène des données relatives au gabarit ». Les quais ont été mesurés dans la foulée, un audit fut réalisé, mais la SNCF s’inquièta quant à l’inscription des nouvelles rames dans le gabarit. En 2011, le ton monta entre la SNCF et RFF. La première considèrait qu’à partir du moment où le nouveau matériel s’inscrivait dans les normes UIC, elle n’avait pas à poursuivre de quelconques investigations. RFF répondait que la géométrie des quais était "évolutive". Et visiblement, personne n’avait souhaiter suivre ces évolutions. Les deux EPIC s’en rejetèrent la responsabilité, pour finalement s’accorder sur des mesures correctives destinées aux 1300 quais concernés, en 2013.
Point de scoop, donc, dans cette affaire. Certes, les cheminots et d’autres observateurs furent choqués par autant d’amateurisme. L’inscription du matériel roulant dans le gabarit figure parmi les fondamentaux du transport ferroviaire. Et c’est effectivement l’organisation bicéphale du système français qui conduisit à de telles dérives, sur le plan organisationnel comme sur celui des responsabilités. Une « séparation de la roue du rail » maintes fois condamnée par les spécialistes, et que ne résoudra en rien la réforme à venir. En effet, si une « muraille de Chine » est érigée, comme le souhaite l’Europe, entre le transporteur et le gestionnaire du réseau, il est évident que la communication n’en sera pas facilitée, contrairement à ce qu’affirment les partisans de la réforme, Ministère de l'Environnement en tête. Le transport par fer exige, pour être efficace et sûr, un haut degré d’intégration. A l’inverse de ce que souhaite Bruxelles pour satisfaire des attentes bassement financières.
Mais revenons au scoop, le vrai. Dans cette affaire, ce qui relève vraiment de l’actualité, ce sont les conditions dans lesquelles la révélation au grand public s'est effectuée et les véritables enjeux d'une affaire, qui ternit, à dessein, l’image de la SNCF. Si, a priori, ce serait bien RFF, propriétaire et gestionnaire du réseau, le premier « responsable » de l’erreur, c’est bien la SNCF qui, une nouvelle fois, fut été la cible de toute les attaques. Certains responsables politiques sont même allés jusqu’à demander la démission de son Président, sans même évoquer la responsabilité du dirigeant de RFF, Jacques Rapoport. Méconnaissance du système ferroviaire ? Précipitation dans la communication ? Ou alors nouveau SCUD envoyé délibérément à l’Entreprise publique ? La question mérite d’être posée, car l’affaire intervient dans une période de tension entre les Régions et la SNCF. Il n’aura échappé à personne que depuis quelques temps, ces dernières se sont inscrites dans une stratégie visant à préparer les esprits à l’ouverture de leurs TER à la concurrence (relire ma noteà ce sujet). Et pour ce faire, tous les moyens sont bons. Les retards de trains sont pointés du doigt, même lorsque la SNCF n’est pas forcément responsable. Idem pour les dysfonctionnements. On charge la mule jusqu’à vouloir l’écraser. L’Association des Régions de France aurait donc ébruité - tardivement - l’affaire, peut-être pour se protéger d’un éventuel surcoût. Mais peut-être aussi pour alimenter une polémique orchestrée de longue date visant à débarrasser les réseaux régionaux de la SNCF et de ses cheminots. Le scoop, le vrai et le seul, réside sans doute dans les méthodes désormais employées entre anciens « partenaires » et futur rivaux. Tous les moyens sont désormais permis, même les plus perfides.