Les attentats de janvier et de novembre 2015 constituèrent sans doute, pour certains responsables politiques, d’excellentes opportunités pour se mettre en avant. « Que l’on parle de moi en bien ou en mal, l’essentiel, c’est qu’on en parle » : telle est la devise de nombres d’entre eux. Mais de là à sortir d'énormes inepties, l’on peut se demander le bénéfice réel de certaines interventions. La mémoire des français est particulièrement volatile... Alors, rafraichissons là un peu. En décembre 2015, Ségolène Royal déclarait : « Il n'y a aucune raison pour que l'on ne sécurise que le Thalys. Si le dispositif fonctionne bien, nous le déploierons dans toutes les gares, pour tous les TGV, tous les trains nationaux et pour ce qui concerne les TER qui sont de la responsabilité des Régions ». Impressionnant ! (Relire Ségo, tais-toi...)
Ne souhaitant pas être en reste, le candidat à la présidence de la région PACA, Christian Estrosi, affirmait à son tour souhaiter équiper ses gares TER de « portiques de détection », revendiquant au passage la paternité de cette idée, reprise par Ségolène Royal. Une fois à la tête de la Région, l’intéressé enfonça même le clou sur Europe 1 : «Rappelez-vous, lorsque j’étais confronté à mes deux adversaires du Parti socialiste et du Front national, je disais, après les attentats du Thalys, c’est dans mon programme, que j’équiperai les 141 gares de la région Paca de portiques de sécurité électroniques pour détecter toute personne qui entrerait avec des armes blanches ou des armes à poudre. Dès le 21 décembre, alors qu’ils disaient que c’était stupide, dès le 21 décembre, rendez-vous avec M. Pepy, président de la SNCF, et 11 janvier, en gare Saint-Charles à Marseille, expérimentation des premiers portiques pour lutter contre la fraude et l’insécurité ».
Quelle réactivité de la part de l’élu, et de la part de la SNCF ! Ce que Ségo et Estro veulent, ils l’obtiennent presque instantanément. Mais, à y regarder de plus près, n’y aurait-il pas anguille sous roche ? De quels portiques parle-t-on ? En Gare du Nord, il s’agit bien de portiques détecteurs de métaux, les mêmes que dans les aéroports. Tandis qu’à Marseille, il s’agit en fait… de portiques anti-fraude dont l’installation, programmée de longue date, n’a rien à voir avec les attentats… Estrosi pris la main dans le sac… Heureusement que la SNCF ne s’est pas équipée de portiques détecteurs de mensonges. Le jour de l’inauguration, le tout nouveau président du Conseil Régional de PACA ne serait jamais monté à bord du train.
Ségo ne s’en sort pas mieux de son côté. Mais plutôt que de surenchérir, et d’ajouter l’esbroufe à l’ineptie, elle adopte un profil bas. Méthode longuement éprouvée. Cuvillier en avait fait les frais à l’époque. A son successeur, Alain Vidalies, de se débrouiller avec les sujets techniques (ou ceux qui fâchent). Tous les spécialistes des transports ferroviaires avaient bondi au lendemain des annonces du Ministre de l’Environnement. Non, la généralisation des portiques de sécurité dans plus de 3000 gares SNCF, dont de nombreuses sans personnel et ouvertes à tous vents, « zé pas pozible ! ». Pour des raisons de coût (compter en moyenne 2 millions d’euros par quai ), pour des raisons de flux, pour des raisons de bon sens évident ! Car, pour jouer pleinement leur rôle de filtres, ces dispositifs devraient être accompagnés d’une fermeture et d’une surveillance constante des 30 000 km de voies ferrées…
La mission d’information, créée par deux sénateurs suite aux tueries de janvier et novembre 2015 et à l’attentat du Thalys, en était venue aux mêmes conclusions : « Il n’est pas réaliste de transposer le modèle de sécurité de l’aérien sur le ferroviaire. Cela mobiliserait des moyens considérables et ne réduirait sans doute pas le risque de manière significative. Sans compter que cela serait peu adapté pour traiter de tels flux de voyageurs. Car les portiques fixes posent la question du flux. En outre, des terroristes peuvent se faire exploser dans la file d’attente que ces portiques occasionnent en période d’affluence. C’est ce qui s’est passé dans l’attentat de Volgograd en Russie». Et de préconiser un renforcement de la présence policière en civil, une meilleure exploitation de la videosurveillance…
Le coup de grâce aura sans doute été porté par Guillaume Pepy lui-même. On connaissait les réticences de la SNCF à la généralisation des portiques de sécurité. Mais difficile, pour un président d’une entreprise publique, de dire à son Ministre de Tutelle que ses projets sont délirants. Alors, quoi de mieux qu’une audition parlementaire pour dresser le bilan de ce qui a été réalisé pour Thalys en Gare du Nord. Devant les Sénateurs auteurs du rapport sur la sécurité dans les trains et les gares, le Président de la SNCF a rappelé que des portiques avaient bien été installés en Gare du Nord, mais rien dans les gares de Belgique, de Hollande ou d’Allemagne. Des pays qui « hésitent », suivant le cas, « positivement » ou « négativement » à équiper leur gare de tels dispositifs. En attendant, rien n’est fait et le filtrage dans un sens ne rime pas à grand-chose… Surtout au lendemain des attentats survenus en Belgique !
Bien sûr, il ne s’agit pas de rester les bras croisés suite à la multiplication des attentats en Europe. D’autant plus que la France est sans doute loin d'entrevoir le bout du tunnel. Aux experts de déterminer les meilleurs parades au maximum de risques, sachant que de toutes façons, la sureté totale et absolue n’existe pas. Mais, de grâce, dans des moments qui appellent à la lucidité, à la fermeté, à la solidarité et au recueillement, arrêtez cette démagogie permanente, lénifiante. Sachons, pour notre part, faire face aux réalités.