Le bazar, c’est sans doute ce que penseront les usagers de la grève à venir. Mais le bazar, ce sont aussi les conditions dans lesquelles ce nouveau mouvement voit le jour… Au risque de se répéter, rappelons une nouvelle fois que l’ « unité » syndicale, maintes fois revendiquée, éternellement rappelée, ostensiblement affichée ne relève que du passé depuis la promulgation de la loi définissant de nouveaux critères de représentativité syndicale de 2008. Depuis, les relations se sont bien tendues entre ceux qui voulaient tout s’approprier et ceux qui devaient être éliminés. Conséquence, la fragilisation du front social.
Avant d’en venir au sujet, la grève SNCF du 31 mars, rappelons aussi quelques pratiques qui échappent aux communs des mortels. Pour déposer un préavis de grève à la SNCF, un syndicat doit être « représentatif » soit au niveau national, soit au niveau d’une région, soit les deux. Une fois le préavis déposé, les syndicats, tous les syndicats peuvent appeler ou non les salariés à faire grève. L’histoire sociale regorge d’exemples où des préavis ont été déposés sans que le moindre tract d’appel à la grève ne soit publié. Enfin, tout syndicat à le droit de s’exprimer sur la pertinence des revendications des autres organisations, et de délivrer son propre mot d’ordre à ses troupes, celui-ci pouvant aller jusqu’à l’appel à boycotter l’action.
Autre point important, les ingrédients permettant la « réussite » d’une action, pour peu que ce soit effectivement le but de la démarche. Dans certains cas, les grèves ne constituent qu’un baroud d’honneur, voire un alibi. Ce qui ne semble pas être le cas aujourd’hui, mais qui l’a été pour certains le 9 mars, lors du précédent conflit SNCF… Pour « réussir » une action, il faut : la préparer dans la plus grande unité, la fonder sur des revendications ciblées et à portée de la Direction concernée, la programmer sur une durée adaptée, l’annoncer le plus rapidement possible, en expliquer les enjeux, mobiliser…
Il n’échappera à personne que l’action du 31 ne s’inscrit pas vraiment dans cette dynamique. Commençons par les syndicats cohérents dans leurs démarches. Sud-rail a, pour sa part, déposé un préavis de grève national le 23 mars. Il porte sur l’avenir de la réglementation du travail et revendique un moratoire sur les instances de proximité. C’est clair et net. FO, pour sa part, a déposé des préavis sur toutes les régions où le syndicat est représentatif. Les revendications portent également sur le maintien du RH 0077, mais aussi sur le retrait de la loi El Khomeri. L’organisation rappelle au passage qu’en dehors de la SNCF, FO, CGT,FSU, Solidaires et les organisations de jeunes exigent d’une seule voix le retrait de cette loi.
En revanche, à la SNCF, cette convergence n'est pas généralisée. Pas de réponse de Sud rail au courrier de FO demandant d’examiner la possibilité d’une démarche commune... Tandis que la démarche du syndicat majoritaire est pour le moins originale, ou plutôt déconcertante. On attendait pour le moins de la CGT, à l’origine des manifestations du 31 mars, une position ferme, claire, déterminée, argumentée. Rien de tout cela sur leur site Internet. Quant aux tracts qui circulent, ils portent essentiellement sur le retrait de la loi El Kohmri. Impossible de trouver, sur la toile, le préavis national de grève de la CGT… Et pour cause : il n’existe pas ! Le syndicat a préféré déposer 85 préavis locaux. Bon courage à ceux qui voudront se reconnaître, ou non, dans les revendications de ce syndicat !
Quant aux deux syndicats d’accompagnement, eux-non plus n’ont pas déposé de préavis nationaux, sous prétexte d'éviter la juxtaposition des revendications publiques et de celles spécifiques aux cheminots. UNSA et CFDT ont cependant déposé, sur certaines régions, des préavis locaux. Si leur argument peut tenir la route, a priori, sa pertinence sera à mesurer à hauteur de leur implication dans les actions à venir, portant spécifiquement sur la défense des droits des cheminots. N’oublions pas que la remise en cause de la réglementation du travail de la SNCF est la conséquence directe de la réforme qu’ils ont soutenue. A rappeler aussi, comme le soulignent d’autres organisations, que le droit du travail fait l’objet d’attaques variées mais coordonnées, dans le public comme dans le privé.
Force est de constater que l’ « unité » maintes fois affichée est, cette fois, encore moins d’actualité. La presse ne s’y est pas trompée en titrant « grève à la SNCF jeudi en ordre dispersé ». La réalité est sans doute pire, dans la mesure où l’action n’a été confirmée dans les médias que 2 jours avant la date prévue… Un fait presque sans précédent. Souvenez-vous : il y a ceux qui déposent des préavis, ceux qui appellent ou non… S’y ajoute une nouvelle catégorie : ceux qui appellent officiellement tardivement. Et comme certains personnels sont astreints à annoncer 48 heures à l’avance leur intention de faire grève, cela peut même porter préjudice à la mobilisation. Est-ce le but ?
Et pourtant… Les attaques contre les droits des travailleurs n’ont jamais été aussi violentes. Salariés du public comme du privé se retrouvent dans la même galère. Les reculs sociaux ne valent que s’ils sont partagés par tous… Tout cela aurait mérité une véritable unité, des actions communes, une rassemblement du plus grand nombre... Le dépassement des clivages s’imposent lorsque les intérêts majeurs des salariés sont menacés… Mais après tout, ces derniers n’ont-ils pas confié majoritairement les clés de leur avenir à ceux qui les "défendent" aujourd’hui ? La démocratie doit être respectée.
A lire ou à relire, les dessous des grèves des 9 et 31 mars