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SNCF Brétigny : les écoutés seront-ils les premiers condamnés ?

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Selon le Canard Enchainé, relayé par de nombreux autres médias, la SNCF aurait tout fait pour manipuler l’enquête judiciaire menée au lendemain de la catastrophe de Brétigny (7 morts, des dizaines de blessés). Les agents SNCF en charge de l’entretien de ce secteur ferroviaire auraient été briefés par le service juridique de la SNCF, de manière à livrer des réponses adaptées aux policiers et magistrats en charge de l’enquête.

 

La mèche a été éventée. Plusieurs cadres, placés sous écoute, ont été confrontés aux propos qu'ils avaient tenus par téléphone, style « Brétigny, c’est des crevards. Faut les foutre dehors », ou, concernant l’état de la jonction « elle est pourrie mais c’est pas la seule… Toutes les TJ de Brétigny sont dans cet état là ». D'autres cheminots ont été invités à se faire briefer avant l’entretien avec la police : « il faut qu’on sache exactement ce qu’on peut dire ». Par ailleurs une note pointant les « très mauvais état » de certaines installations aurait été retirée. Les appareils en question ont été requalifiés en « appareils à régénérer » sous prétexte de se protéger de la Justice…

 

Première question que posent ces « révélations » : est-il ou non normal qu’une entreprise briefe ses agents avant leur audition par la Justice ?

Certains condamneront sans réserve cette initiative. Pour autant, il est nécessaire de rappeler que dans ce genre de situation, il n’est pas superflu d’offrir un conseil juridique à des salariés. D’autant que des propos imprécis ou maladroit pourraient engager leur responsabilité personnelle. Dans l’absolu, il n’est donc pas anormal qu’une entreprise offre son soutien à ses salariés confrontés à la Justice. Pour autant, il reste une limite à ne franchir en aucun cas, à savoir travestir la vérité, voire mentir aux représentants de la loi.

 

Second point : le poids des mots. Les conseils prodigués par la SNCF auraient contribué à édulcorer une situation… pourtant connue de tous. L’état des installations de Brétigny était connu. Plus globalement, l’état du réseau classique, a fortiori préoccupant, avait fait l’objet de deux audits externes. Le premier en 2005, le deuxième en 2012. Extraits (2005) : « … Le matériel de voie est en principe en bon état mais vieillit de manière préoccupante. Le patrimoine des voies des groupes UIC 1 à 4 a considérablement vieilli, en moyenne de 5 ans en 16 ans. Ce vieillissement est incontestablement le fruit du retard d’investissements en renouvellements». 2012 : « …l’effort substantiel investi n’a pas encore permis d’inverser la tendance au vieillissement que les auditeurs de l’époque avaient mise en évidence. La pérennisation du réseau ferré national exige l’inévitable poursuite de la montée en puissance des budgets consacrés au renouvellement ». Même édulcorée, l'état inquiétant du réseau classique était largement connu.

 

Le 22 mai 2015, plus d’un an après la catastrophe, Jacques Rapoport, Président de SNCF Réseau, se confiait aux "Echos" :  "l'âge moyen de nos aiguillages est par exemple de 30 ans, contre 17 en Allemagne. Et celui de la partie la plus structurante du réseau est passé de 17 à 23 ans sur les deux dernières décennies… L'effort consenti ces dernières années a permis de porter ce budget à 2,5 milliards d'euros par an, contre 2,2 milliards pour la maintenance courante. Mais cela reste insuffisant. Les Allemands, par exemple, vont porter leur budget de renouvellement de 3 à 4 milliards par an. Et ils changent 2.000 aiguillages chaque année, quand nous en renouvelons 400".

 

Face à ces constats répétés, qui traduisent le vieillissement inexorable du réseau classique, la question des qualificatifs utilisés importe finalement peu. Qu’une installation soit « à régénérer » ou pourrie, peu importe. La question est de savoir si elle peut être franchie en toute sécurité, ou alors avec des restrictions, ou alors pas du tout. Le rôle de la SNCF est d’assurer la sécurité de ses clients. Force est de constater qu’elle a été prise à défaut à Brétigny.

 

La tournure que prend l’enquête, ou plutôt le reflet qu’en donnent les médias, peut en revanche  interpeler. Le rôle de la Justice est d’établir la vérité, toute la vérité, et ensuite de définir les responsabilités, toutes les responsabilités. La mise sur écoute de certains cadres de la SNCF, procédure d’ordinaire plutôt utilisée en matière criminelle, terroriste, ou relative à diverses fraudes témoigne du peu de confiance que la Justice offre à la SNCF. Soit.

Mais a-t-elle procédé de même à tous les niveaux de l’Entreprise, et surtout, au niveau de la tutelle première responsable d’un état de délabrement du réseau connu, reconnu, et maintes fois dénoncé par les représentants du personnel ? En serait-on arrivé là si la SNCF avait eu les moyens d’entretenir correctement son réseau ? L’Etat porte une très lourde responsabilité dans cet accident. Ses responsables ont-ils eux aussi été placés sur écoute ?

 

Il ne s’agit pas là d’affranchir le personnel de la SNCF de toutes responsabilités. Il s’agit d’éviter de braquer une nouvelle fois ces dernières sur les lampistes, ces agents du terrain placés entre le marteau et l’enclume, à qui l’on demande tous les jours de faire plus avec moins. Il aurait été intéressant que le Canard révèle la liste exhaustive des personnes placées sur écoute. Son contenu, à lui seul, serait très révélateur de l’orientation donnée à l’enquête et de ses futures conclusions.


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