L’histoire s’est déroulée il y a une décennie. Quelque part en PACA, une groupe de « jeunes » monte à bord d’un TER. Peu de temps après, le contrôleur visiblement débutant procède à la vérification des titres de transport. Un acte qui relève de l’héroïsme ou de l’inconscience pour un agent isolé, décidé à exercer sa mission avec professionnalisme sur une ligne connue pour son taux élevé de resquilleurs. Au point que la SNCF elle-même encourage ses agents à ne pas faire preuve d'un zèle démesuré. A hauteur des adolescents, arrive ce qui pouvait arriver. Ces derniers déclarent tout de go ne pas avoir de billet, et de toute façon ne pas avoir l’intention de payer. Téméraire dans un premier temps, le cheminot s’aperçoit rapidement qu’il ne fera pas la loi seul contre tous. Il tente néanmoins de sauver la face comme il peut, alors que fusent insultes et menaces en tous genres. Le train s’arrête à la halte suivante. Se lève alors, sans un mot, un usager de la corpulence d'un rugbyman. Les portes à peine ouvertes, il balance du train l’un des protagonistes. Sans prononcer un mot. Les autres n’en mènent plus très large, et finissent par rejoindre leur copain sur le quai, baissant d'un ton les insultes. Le train repart comme si de rien n'était. Surpris et penaud, le contrôleur remercie alors l’usager qui va tranquillement se rasseoir, lâchant au passage « y a pas de problème ». Cette histoire, relatée par un habitué de la ligne, s’est en partie renouvelée il y a peu. Sauf que dans ce cas, le passager… était en règle… ou presque.
Selon Var-Matin, le mardi 4 novembre, un usager franchit le dispositif de filtrage mis en place en gare de Toulon. Il présente furtivement sa carte d’abonnement au préposé qui croit y lire que la validité est expirée. Sans laisser le temps à l’agent les quelques secondes indispensables à lever le doute, le client se précipite vers son train. Les cheminots ne l’entendent pas de cette oreille. Ils exigent que le passager descende de la rame pour être contrôlé… comme l’ont été tous les autres voyageurs montés à Toulon. L’intéressé proteste, affirmant qu’il est en règle, et selon « Var Matin », et refuse de descendre « pour ne pas louper son train ». Du coup, la rame est maintenue sur place. Pas du goût des voyageurs, qui dans un effet de meute, s’en prennent à l’abonné. Une femme jette son sac sur le quai, un homme menace d’en venir aux mains s’il l’intéressé ne descend pas de lui-même. Des insultes fusent de part et d'autres. Un voyageur s'exclame : « Bamboula ! C'est toujours les mêmes qui posent problème. Les cartes d'abonnement, on sait comment vous les payez. Avec nos impôts ! ». Et des mains par dizaines débarquent le « resquilleur »… dont l’abonnement se serait finalement révélé… valable.
Quelles leçons tirer de ces deux événements ?
La première, c’est sans doute que l’absence ou la non-application des règles finit toujours par déboucher tôt ou tard sur une forme de chaos préjudiciable à tous. Il fut un temps pas si éloigné, la connaissance et le respect des règles étaient enseignés et inscrits dans la conscience collective. Les transgresser était synonyme de sanction. A charge pour la police, la justice, et les représentants des autorités, de jouer leurs rôles, et d’éviter ainsi que le citoyen fasse justice – ou injustice – lui-même. Lorsqu’un Etat ne remplit plus ses fonctions régaliennes, lorsque le laxisme s’installe à tous les niveaux, lorsque « l’interdiction d’interdire » de mai 68 prend le pas sur le respect des règles, la seule loi qui risque à terme de régir notre société, c’est celle de la jungle. Avec toutes les dérives que cela engendre : amalgames, effets de masse, dérives en tous genres, radicalismes,…, pire encore ? Dans le premier exemple, les « jeunes » ont tenté de voyager sans billet, insultant au passage celui qui représentait l’autorité dans le train. Et c’est bien la garantie d'impunité qui les encourage à de telles dérives. C’est avant tout parce que l’Etat refuse de jouer son rôle que des gens, qui se veulent honnêtes et respectueux des règles, sont excédés par ce que d'autres leur font subir tous les jours... Du coup, certains croient autorisés à faire "justice" eux-mêmes… Une porte ouverte qui risque de déboucher sur le pire.
Seconde leçon à tirer, c’est qu’une fois le laxisme installé, il est très difficile de revenir en arrière. Dans le deuxième exemple, il apparaîtrait que l'abonnement du client fut parfaitement en règle. Mais cela ne suffit pas pour monter dans un train. La présentation du titre de transport, à la requête d’un agent, constitue une obligation qui s'impose à tous. Rien ne justifie qu’un usager s’affranchisse d’une contrainte à laquelle tous les autres ont satisfait. Les règles sont les mêmes pour tous, et doivent être appliquées avec la même rigueur, à tous les clients. Pour sa part, « la SNCF estime que l’usager a refusé de montrer son titre de transport et a forcé le passage ». Si ces faits sont avérés, l’abonné est effectivement en infraction. La SNCF a le droit le plus légitime d’exiger la présentation du titre. Le voyageur récalcitrant porte donc la première responsabilité de l'événement.
La suite, elle, si elle est inexcusable, trouve en partie son explication dans les conséquences d’un laxisme ambiant qu’une partie grandissante de la population refuse de supporter. Au-delà des responsabilités individuelles qui conduisent à ce genre de dérapage, il y a bel et bien une responsabilité politique. Et, en amont de celle-ci, une responsabilité sociétale. Le laxisme s’est développé depuis plusieurs décennies, dans une relative indifférence. Il n’est pas le fait d’un seul Gouvernement. Mais encore faut-il faire preuve d'un minimum de détermination pour, au minimum, ne pas l’encourager. Cela vaut tant pour les décideurs politiques que pour les dirigeants des entreprises concernés par le fléau. Sans quoi notre société, animée par un mouvement de balancier qu'elle affectionne, en arrivera un jour à plébisciter les plus radicaux. D'ici là, des individus de plus en plus nombreux chercheront sans doute à se faire justice eux-mêmes, au risque de multiplier de dramatiques bavures.
Autre élément mis en exergue par cette dernière affaire : tels des irréductibles, les cheminots font partie d’une des dernières professions à refuser de se faire insulter impunément. Qui n’a pas été consterné par les reportages sur les services médicaux d’urgence, dans lesquels les personnels sont de plus en plus fréquemment pris à partie, menacés verbalement ou physiquement, au point que les hôpitaux français sont désormais contraints de recourir à un service de sécurité interne… Qui a conscience du vécu quotidien des enseignants, de moins en moins respectés par leurs élèves, trop souvent insultés, parfois molestés par des parents eux-mêmes dénués d’une once d’éducation ? Que dire des pompiers pris à partie dans l’exercice de leur mission, caillassés lorsqu'ils se déplacent pour sauver des vies ? Ou des forces de police subissant impunément, au quotidien, insultes et agressions en tout genre ? Que dire plus globalement de tous ces salariés en contact avec le public, premières victimes d'incivilités en tous genres ?
L’on peut, pour commencer, inviter tous ces salariés à se battre, à faire preuve de solidarité, pour exiger un minimum de respect et un maximum de sûreté. Les délinquants, eux, ne donnent-ils pas l'exemple lorsqu'ils sont mis en cause. Bien sûr, les usagers râlent chaque fois que les cheminots « déposent le sac » après l’agression de l’un d’entre eux. Sauf que s’ils ne s'étaient pas impliqués, la législation n’aurait pas été renforcée et la Justice serait restée passive à l’égard des contrevenants. Lorsque l’agression mène à la case prison, ça fait réfléchir. Mais pour renverser la vapeur, il faut savoir et avant tout vouloir se faire entendre. Sinon, il ne reste plus qu'à apprendre à marcher tête baissée.
Dernier point, et ce sera la conclusion. Le caractère « raciste » de certaines affaires ou considéré comme tel. Tout être un tant soit peu évolué ne peut que condamner le racisme. Que cette déviance se manifeste contre une couleur, une culture, une spécifié, une religion, une profession.
Lutter réellement contre le racisme, c’est plaider en faveur des mêmes droits pour l’ensemble des citoyens, sans distinction. Après avoir exigé de chacun d'entre-nous qu’il se soumette aux mêmes devoirs. Car le droit naît du devoir, et non l’inverse.